Point de fuite
Je pars en année Erasmus à Utrecht, aux Pays-Bas, lors de mon Master 2 d'Études cinématographiques et audiovisuelles en 2005-2006. Lors du deuxième semestre, j'étudie la culture néerlandaise du XIXème siècle. On nous demande d'écrire un dossier sur un sujet de notre choix. Je décide d'entreprendre des recherches sur Vincent van Gogh. Je tombe sur des ouvrages qui parlent des diverses maladies qu'on lui attribue aujourd'hui, soit mentales soit physiques, notamment un potentiel problème de vue qui lui aurait fait peindre avec ce jaune si particulier. Dans ces ouvrages, l’œuvre du peintre n'est vue qu'à travers le prisme de la maladie. Ces analyses me mettent en colère. Et me rappellent alors une visite faite quand j'avais 16 ans du cloître de St-Paul-de-Mausole à St-Rémy-de-Provence. Une exposition de peintures réalisées par des patientes de la clinique y était proposée aux touristes. Elle m'avait beaucoup marquée. Je me souviens d'une patiente qui avait peint plusieurs fois le portrait de sa tante, qui visiblement l'obsédait, et qui visiblement ne lui avait pas fait que du bien.
Je décide alors de partir tourner un documentaire dans cet hôpital en choisissant d'emblée de ne filmer que les ateliers d'art-thérapie, sans jamais filmer la partie "hôpital"ni nommer la moindre pathologie. Je voulais seulement montrer des femmes découvrir la peinture, découvrir ce dont elles étaient capables, découvrir le pouvoir de l'art comme thérapie. A mon retour en France, je rencontre le directeur, le Docteur Boulon, ainsi que l'artiste art-thérapeute qui accompagne les femmes (uniquement des femmes) lors des ateliers : Angela Evers, une vraie rencontre. Elle est néerlandaise et comprend tout de suite mes intentions.
J'obtiens miraculeusement l'autorisation pour tourner - ce qui aujourd'hui me surprend encore. J'avais alors 23 ans et j'arrivais avec une caméra tout juste achetée pour l'occasion, et sans aucune maîtrise technique. Mais la certitude de la justesse du sujet devait sans doute me donner l'assurance suffisante pour convaincre.
Je suis restée environ deux mois là-bas, logée au-dessus du cloître, là où Van Gogh lui-même avait vécu, avec la même vue de ma fenêtre que celle qui l'avait peinte. J'ai rencontré des femmes exceptionnelles, vécu des moments intenses.
Ayant entrepris cette aventure seule, sans production (je ne savais pas qu'il fallait une production, un diffuseur, écrire des dossiers AVANT de tourner !), j'ai monté le film pendant deux ou trois ans... une version de plus de 2 heures a existé, il me semble... Et finalement, je suis arrivée à un film de 40 minutes.
Il a été projeté et utilisé par Angela, mais aussi par la Fédération Française d'Art-thérapie. Je m'en réjouis. Il aurait été difficile de l'exploiter davantage, surtout sur la durée. Même si toutes les femmes m'avaient donné leur accord, je n'ai plus de contact, hélas, avec elles et je ne souhaite plus montrer ce film, par respect pour elle.
Je fais figurer Point de fuite ici car il restera mon vrai premier film et j'en suis extrêmement fière.
C'est pour à ce film que j'ai osé contacter un grand monsieur, Alain Cavalier, qui d'emblée a eu la gentillesse de visionner mon maladroit premier montage et n'a, depuis, jamais cessé de m'encourager avec Françoise Widhoff. Mes deux fées.